COMPAGNIE L’INSOUMISE
Depuis un an, les femmes de la Compagnie l’Insoumise portent un projet qui leur tiennent à cœur : « Les Yeux de ta Mère », un spectacle de théâtre-concert mis en scène par Barbara Weldens, qui rassemble sur scène une comédienne, Violetta Gal-Rodriguez, et une violoncelliste, Lula Heldt, duo complice et poétique, et qui s’engage à lever le voile sur l’image d’un féminin contemporain en crise. Libre adaptation du texte de Pauline Sales « Groënland », cette création aborde le thème de la maternité et de l’enfantement pour exprimer les réflexions intimes qui assaillent la femme actuelle, et nous livre avec poésie, poigne et sincérité un regard percutant sur la condition féminine.
Touchée par l’ambition et le message de cette toute nouvelle compagnie, qui a fait un carton au OFF Festival d’Avignon 2018, Les Biches ont voulu en savoir un peu plus sur celle qui a nourrit le projet, Violetta, et son binôme Lula.

Bonjour les filles. Une petite présentation, pour commencer ?
Violetta : A vrai dire je trouve ça assez difficile comme question ! Je me la pose moi-même assez souvent… Qu’est ce qui m’identifie ? J’ai 32 Ans, je suis fille d’exilée politique chilienne, et je pense être avant tout une femme passionnée par le théâtre et ses multiples possibilités. Je n’aime pas les cases, donc difficile de m’étiqueter en tant que « comédienne » ou « metteur en scène ». Je me retrouve plus dans une notion de « passionnée », voir « obsédée » par mon métier ! Curieuse, chercheuse, quelque chose qui inclut un mouvement permanent… Je suis aussi une personne en révolte perpétuelle contre les inégalités, je pense c’est un trait de caractère fort chez moi, qui me suit depuis mon plus jeune âge, et qui se traduit notamment avec mon association « La Maille, Toile d’artistes féminines », et notre plaidoyer pour la parité dans le milieu culturel. Je cherche à créer aussi des espaces d’entraide et de fonctionnement hors concurrence dans le milieu artistique. Parce que je crois qu’être artiste c’est aussi être humaniste, et que je ne comprends toujours pas la société de compétition dans laquelle nous évoluons. Et surtout pourquoi en tant qu’artistes nous la rejoignons. Voilà, un bout de moi, en tout cas !
Lula : Je suis qui que quoi dont Lula, née un matin d’été d une mère musicienne , elle-même élevée par son grand-père violoncelliste et directeur du conservatoire de Sarlat. Pour dire, les pupitres et les partitions sont des décors de mon enfance ! Malgré cette chance, je ne suis jamais intéressé à l’aspect théorique de la musique, qui m’impressionne énormément, et me fait peur, même… Je passe de nombreuses années à effleurer les cordes de ma guitare, de mes 5 ans à mes 15 ans, ne dévoilant à personne mon intime musicalité. C’est vers mes 22 ans que je rencontre les personnes qui me donnent l’envie de professionnaliser ma passion. Ensemble, nous formons « La Grimasse », un groupe de chansons françaises instrumentalement délurée ! Nous avons accompagné la « Compagnie du Mouton à 5 Pattes », petit cirque burlesque sous forme de cabarets sous chapiteaux. Après quoi, j’ai découvert le violoncelle, il y a 8 ans, et ce fut une rencontre explosive ! Là, de horizons se sont ouverts à moi : accompagné de mon ami Joss à la batterie, nous avons formé « Boon’s » avec pour visuel la présence de Muriel Petit et Monica Lehmacher en « rétroprojection ». Ce fut un coup de cœur pour Violeta et Barbara, qui sont venues nous voir. Je n’ai pas pu refuser leur proposition lorsqu’elles m’ont contactée pour les rejoindre, alors que mon bébé n’avait que 3 mois. En bref, qui suis-je? Une amoureuse de la création !
Aujourd’hui, vous travaillez ensemble dans la Compagnie l’Insoumise. Quel en est ses fondements ?
Nous avons créé la compagnie en 2016 autour de notre premier projet « Les Yeux de ta mère », qui s’inscrit dans une triade autour des notions de genre et de la famille (en tant que première pierre à l’édifice de notre société). Comme son nom l’indique, il est question d’interroger, analyser nos mœurs, souvent en allant de l’intime vers le politique, en utilisant différents médiums artistiques pour créer les atmosphères de chaque spectacle. Il n’y a pas de règles, nous pouvons autant monter un spectacle de rue pour un propos, comme décider de rentrer dans un rapport de scène plus classique pour un autre. Ce qui est primordial pour nous, c’est de ne pas se limiter.
Et qui donc travaille au sein de la compagnie ?
Mylène Pastre, qui boss en création lumière, est la première personne à avoir rejoint le navire. Avec un engagement sans pareil, elle a su traduire l’atmosphère onirique et parfois cinématographique du spectacle. Elle n’a pas simplement traduit notre langage en lumière : elle a su le sublimer. Je tiens à souligner que tous nos collaborateurs ont naturellement rejoint notre compagnie car ils sont tombés amoureux du projet, ce qui est une chance pour une compagnie émergente comme la nôtre ! Mon acolyte et ma complice, Lula, est violoncelliste, guitariste, chanteuse, auteure, compositrice et interprète (oui, pour vous dire, c’est très énervant de travailler avec des gens qui ont autant de cordes à leur arc ! Elle m’accompagne à la création, et nous portons en parallèle d’autres projets en devenir. Ensemble, on ose rêver, on s’autorise à délirer et construire toujours de nouvelles formes artistiques : des créations sonores, littéraires, des enregistrements d’albums, des projets avec des femmes migrantes… Notre complicité est notre force ! Je crois que je peux dire que nous bravons ensembles les eaux (parfois troubles) de la création ! Du côté administration et diffusion, il y a David Cherpin, administrateur, aide au développement de notre compagnie et assistant à toutes rêveries utopiques ! Sandrine le Maléfant fut notre chargée de diffusion et de communication (autant dire tout terrain) durant le Festival d’Avignon. Et Margaux Décaudin nous a rejoint récemment pour l’envolée des projets à venir! La distribution de notre prochaine création « Mâle, autopsie du masculin » est déjà toute prête, mais autant dire qu’elle est nombreuse, je ne vais donc pas t’éplucher les CVs! (sans compter que j’aime garder du mystère…) !
Qu’est-ce qui vous caractérise ?
Si je devais donner une « marque de fabrique » pour nos créations, ce serait cette alliance entre un prisme sensible et onirique mêlé à des thématiques actuelles pourtant crues.


Les 3, 4, 9 et 10 Novembre, vous présentez donc votre premier projet « Les Yeux de ta Mère » au Théâtre de la Plume, à Montpellier. Peux-tu nous raconter la naissance, la création et la réalisation de ce spectacle ?
Tout d’abord, il faut savoir que « Les Yeux de ta Mère » est une adaptation très libre autour du « Groënland » De Pauline Sales. Un parti pris, en quelque sorte. Une création qui s’est construit dans ma tête pendant 6 ans ! Ma première rencontre avec le texte fut terrassante, autant dire que je n’ai plus fait de théâtre pendant deux ans… Mais ce texte est resté là, intact, dans sa capacité de m’émouvoir, de justesse. Car je pense que la vérité n’existe pas, mais la justesse est ce qui s’en rapproche le plus. J’ai aussi forcément mûri entre temps, je suis devenue mère, de jumeaux ! Encore une aventure ! Et c’est à ce moment là que la nécessité de création est apparue de nouveau. Et Barbara Weldens, sur ce chemin. Nous avons commencé à jouer, simplement, comme on joue entre enfants, à mêler ce texte au « Grand H de l’Homme ». A le désacraliser, chose importante pour moi pour l’interpréter. Elle m’a encouragée à remonter sur les planches. S’en sont suivies les premières ébauches de ce projet, et Barbara est passée à la mise en scène, laissant une place à Lula pour me rejoindre, et c’est à ce moment là que le projet a pris toute sa dimension onirique ! Lula nous a ouvert les portes du Groënland avec sa voix et son violoncelle ! Ensuite, suite au décès de Barbara, en juillet 2017, nous nous sommes retrouvées assez déstabilisées… Et avec une création inachevée (c’est encore le cas). C’est alors que Marion Coutarel et Périne Faivre nous ont rejoint sur des périodes de créations afin de pouvoir « finir » cet objet artistique, pour Avignon.
Nous avons appris avec regret le décès de Barbara Weldens dans la presse, l’an dernier. Pourrais-tu nous parler un petit peu d’elle ? Nous raconter une jolie anecdote ?
Je ne sais pas si je peux vraiment répondre à cette question… On se pose toujours la question de la légitimité à définir quelqu’un qui n’est plus là, sans compter le chagrin… Je vais essayer de parler de ce que moi j’ai connu… En sachant que ce n’était qu’un bout. Barbara était multiple, comme son art. Il y avait un être de scène, barbare, enivrante, épatante, un monstre de scène, une bête de travail (oh oui ! C’était une grosse bosseuse !) Elle tenait ça du cirque, sans aucun doute. Puis une femme simple, humaine, sans prétention. Parfois maladroite, même ! Quelqu’un qui faisait grand don de soi. Quelqu’un de bien quoi, avec qui tu parles des galères de la vie, quelqu’un avec qui tu te marres en racontant des blagues à la con… Et elle avait une grande sagesse en même temps, c’était impressionnant ! On aurait dit qu’elle avait vécu plusieurs vies déjà, en une seule ! Et si je devais raconter une jolie anecdote, je dirais que je me souviens de son rire ! Dès que je lui racontais mes histoires avec ma mère, ça avait le don de la faire poiler… Et aussi, pour la naissance de mes enfants, elle était avec ma mère qui était venue du Chili pour l’occasion et qui avait traversé un moment de grande angoisse. Je me souviens alors qu’elle l’avait prise par les épaules et lui avait dit : « Tu es la mère de Violeta, tu ne peux pas t’effondrer ! ». Je trouve ça dingue, surtout qu’elle ne m’en a jamais parlé. Je l’ai appris plus tard, par ma mère. C’était ce genre de personne là, Barbara. Qui avait les mots justes au bon moment, souvent.
Votre pièce n’appartient pas au registre du théâtre classique, mais s’oriente plutôt vers le « théâtre concert ». Mais au fait, qu’est-ce-que c’est ?
Le théâtre-concert, c’est une performance partagée entre une comédienne et une musicienne. C’est-à-dire qu’il y a autant de l’accompagnement sonore, comme des morceaux à part entière dans le spectacle, que de parties interprétées oralement. Ce sont des bassins communicants : la musique nourrit le texte et le corps, et vice-versa. On partage la narration par différents biais. Lula s’exprime avec peu de mots, mais toujours très juste … Cependant, elle laisse surgir un flot de sonorités, cordes, bruits, oiseaux… qui se traduisent en sensations chez moi, qui m’émeuvent à leurs tours, pour nourrir mon expression.
Vous vous êtes produit cet été au festival d’Avignon OFF, n’est-ce pas ? Racontez-nous votre expérience ! Quels ont été les retours des spectateurs ?
Le festival d’Avignon nous a apporté beaucoup d’assurance sur le fait que cette création trouve son public, et est clairement nécessaire à l’ouverture des consciences. Notre spectacle ne cherche pas à être dans le consensus (je me demande souvent si l’art se doit d’être dans le consensus) mais la quantité de personnes venues nous remercier à la sortie de la scène et l’encouragement professionnel nous permettent de dire que ce spectacle est clairement nécessaire ! Nécessaire parce qu’on touche la figure de la mère, et notre société n’est pas forcément prête à accepter un discours autre que celui du « penchant féminin » à élever ses enfants ; nécessaire parce que l’instinct maternel n’existe pas pour toutes, parce qu’on est souvent rabaissées au rang « d’êtres sur-hormonés » victimes de leurs hormones et trop souvent traitées d’hystériques …
Quels sont vos projets futurs pour la Cie ?
Que le couple est une belle aventure, mais souvent il frôle le précipice. Que toute cette douleur, folie, excès de lucidité face à notre condition peut être sublimée ; et devenir une véritable œuvre d’art !
Un message d’espoir/d’amour :
Notre pensée créé du réel et que tout possible est ensemble !
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Les dates à montpellier :
02, 03, 09 et 10 Novembre au théâtre de la plume