LA MORGUE VOUS VA SI BIEN
Allôween, ou l’appel du salut divin, et la Fête des Morts annoncent le glas sous les battements d’ailes des grands corps-mourants, oiseaux slammeurs en voie d’extinction. Ca tombe bien! Pour la Toussaint, j’ai décidé de fleurir vos sépultures émotionnelles d’un bouquet de photos souvenirs glauques’n’roll rapportées du purgatoire. Une offrande à la mémoire de vos peines perdues, cicatrices de coeur et autres déchirures en guise d’ex-voto, parce que la morgue vous va si bien…
Réveillée aux aurores dominicales, je pris un petit-déjeuner appétit-sang et connaissance de quelques épitres virtuels, achevai dans la moiteur automnale mes corn-flasques et le café refroidi par mes divagations scatholiques. N’étant pas fidèle des rassemblements eucharistiques et partant du triste constat que la magnanimité reste la même merde dans toutes les religions, je chaussai mes pompes funèbres, décidai de fuir la messe et ses hypo-Christ en ce jour du Saigneur, et montai dans le train fantôme direction l’Aude-là.
A la limite d’asphyxier dans mon placard sanctuaire ambulant sur fond de Montagne Noire, livide et arrivée sans crier gare, je sentis le marasme et le vertige envahir mes airs de relique cyan-nausée, suffoquer le sapin et souffler la fétide haleine du vent pire. La cathare-strophe se rapprochait et la cuitée visuelle augmentait. Probablement à cause de ma consommation excessive de dynamanites, ces champignons psycho-tops à montée explosive, lors de ma sportive session d’apérobic trop arrosée la veille! Que Dieu me prothèse! Les yeux mydriases et la mine défunte, au bord de l’ovaire-dose, il fallu que ma carcasse sonne creux en percutant le macadrame du quai pour que le branleur frustré égo-sans-trique qui m’avait saoulé et souraté tout le trajet tire la sonnette d’Allah-rme!
Situation hémotragique. Évacuée sur une civière, le crâne à ciel ouvert déversant son encre gouttant sur la spire et le suaire temporaire enveloppant ma chair, le cortex à l’air, j’étais un corps beau esquinté aux ailes écrabouillées baignant dans un calice mortifère. Martyre mal embarrée, sirène hurlante on me conduisit aux urgences d’un immense hôpital. Polytraumatisée, je rendis l’âme et perdis connaissance, cataclysme sentimental, apocalypse d’une commotion cérébrale.
Placée in extremis en réanimation et sous étroite surveillance médicale, je visitai tout d’abord la salle de déchocage où l’on fit repartir ma « Mécanique du coeur ». Puis on me fit traverser en brancard une artère afin de passer une coronairo-chorégraphie, une sorte d’examen de danse rythmique au milieu d’un ballet de blouses blanches. Le verdict fut sans appel sur la feuille sortie de la déprimante, ancrant souvent de bien tristes nouvelles : Malgré la dysthanasie amoureuse, les affres d’une union létale et du stress de trop d’années à subir les crises d’hystrionie d’une perverse narcissique m’avaient provoqué une myocardite aigüe, comme un ultime et sournois marquage inflammatoire au fer rouge pour être sûre que je ne l’oublie pas. S’en suivirent alors le traditionnel bal des radios céphalorachidiennes, le supplice du scanner et de l’épouvantable IRM avec son avant goût de cercueil au capitonnage immaculé. Et vint ensuite la mascarade des pronostiques vitaux engagés, la farandole des cathéter-rifiants, le défilé tribal des aiguilles vaudous et autres entrechats de perfusions sédatives, les prises de jus d’os et toujours ces veines écarlates que l’on ne trouve pas.
Peu optimiste quant à mon sort mais toujours sereing’, un homme masqué à l’accent fort nasillard et marqué par l’acnez, gros bouton entre deux joues, intervint et prit la responsabilité de tenter le Diable. On me descendit dans les ténèbres du bloc opératoire. Ponte de la chirurgie Corona-rienne, spécialiste des opérations de la dernière chance avant mise en bière, il me fit anesthésier et placer sur l’autel des sacrifices. Armé de son arsenal de scalpels et autres bistouris, le bourreau Mythoman, chirurgien super héro dont les pouvoirs de résurrection n’ont jamais été démontrés, m’ouvrit en deux. J’agonisai dans ma léthargie, ma narcose endormie, sombrai en fibrillation, cet état apparent que je qualifie aujourd’hui d’occi-mort, puisqu’après avoir retrouvé vie j’étais donc à ce stade née-décédée ! Ni mon palpitant ni mon obsquelette, ma charpente dépassée par les événements, n’avaient pu résister à l’accident de circulation-Sandrine dont j’étais victime !
On me sutura, débrancha sondes et capteurs, éteignit les moniteurs devenus muets, retira mes dernières entraves nourricières, me débarrassa du foutu drin et rangea tire langue, pinces, clamps, ciseaux, curettes et autres instruments de torture. Dans le silence mortuaire, on m’enferma dans la housse-musique d’un déchirant éclat de fermeture Eclair. On transféra mon macchabée à la chambre funéraire. Le médecin légiste pourvu d’une sacrée moustrash constata et ne pu qu’acquiescer mon état, m’accrocha à l’index une étiquette Waïkiki Biche, lia autour de mon poignet droit le bracelet souvenir de la date et du lieu de mon trépas. On me refit une beauté couturée, camoufla mon sternum sillonné par la plaie et maquilla mes maudites ecchymoses et ma peau labourée d’un coup de thanatotracteur. Puis on me rangea aux oubliettes d’un tiroir froid.
Une secrétaire prit l’adécèdaire, le répertoire alphabétique destiné à prévenir les proches et le cimetière, pour prévenir mes congénères. Les biches, ébranlées par l’horrible appel, vinrent en convoi exceptionnel reconnaître ma dépouille mortelle. Sur l’autoroute de la stupeur, on pouvait suivre leurs empreintes et lire « Ralentissement, harde en déplacement ! ».
Elles arrivèrent dévastées autour du catafalque transparent sur lequel reposait mon cadavre meurtri. Figée dans l’atemporalité de l’immobilité éternelle, je vis un halo, la fragile lumière, l’électrochoc d’un regard clair et entendis le clapotis de leurs larmes venant se suicider sur le carrelage glacial et impersonnel de l’ardente chapelle. Pétrifiée, je restai de marbre dans cette situation paranormale. Étais-je le cauchemar, elles les fantômes ? Étais-je l’ectoplasme ? Elles mes fantasmes ? Mort-vivantes, je repris quelque peu mes esprits entre deux cierges rabougris. Circonspectre, je sourcillai d’horreur et les épouvantai. Le vacarme assourdissant de leurs cris transperçants me crucifia sur place, seule face à six trouilles !
En proie à la psychose, un démembré du personnel disloqué chauve sourit après coup. Il avait fait irruption afin de vérifier l’invraisemblable. Contre toute attente, j’étais revenue plus raccommodée que jamais de cet étrange voyage dans le néant imminent que le tableau des destinations ne m’avait pas annoncé au départ. Rescapée et ressuscitée, je serrai d’une force irréelle mes biches contre mes stigmates oubliés dans le fri-gore afin de leur déclarer pour la première fois ouvertement, sans fil ni agrafes, que l’amour que j’ai pour elles est increvable.
Et comme je ne suis pas prête d’enterrer ces souvenirs qui m’ont reconstruite plus forte que jamais, je remercie l’homme qui valait trois billards et qui en me congelant quelques temps parvint à me sortir du trou noir. Je ne l’acclame pas, je cry-ô-génie !
Quant à mes téméraires et fidèles lectrices, permettez-moi de vous envoyer mes plus affreux zombisous !