LES CHASSEURS DE VIDE : PROJET ITINÉRANCE
Les Chasseurs de Vide, c’est une compagnie de danse qui conjugue les énergies créatrices de Josépha Fockeu et Célia Tali. Ces deux artistes au parcours singulier œuvrent en duo et tentent, à travers leurs créations, d’ouvrir les imaginaires et d’extraire l’Homme de son quotidien, en investissant l’espace public. C’est dans la rue qu’elles ont choisi d’exprimer leur art, prenant comme moteur de création l’espace et le spectateur. Plus qu’un concept esthétique, Les Chasseurs de Vide est une compagnie qui incarne des valeurs citoyennes, véhiculant de l’espoir et soulevant la réflexion. Porteur d’un véritable message d’humanité, chacune de leur création propose au spectateur une immersion dans des univers visuel, chorégraphique et plastique, le tout dans une atmosphère ludique et complice. Au sein de leur projet, elles travaillent à défendre et incarner une double posture, celle d’artiste et de citoyen.
Pour leur dernier projet, « ITINÉRANCE », qui se déroule les 8 & 9 février dans les quartiers de Celleneuve et du Petit Bard, Célia et Josépha ont travaillé autour du thème de la migration, du rêve et ses désillusions, et ont imaginé un événement qui se déploie dans plusieurs lieux, au travers de plusieurs disciplines, afin de créer un espace de réflexion dans lequel l’Humain reprend sa place. Nous les avons rencontrées pour avoir plus de détails…

Bonjour les filles ! Afin d’en savoir plus sur chacune de vous, pouvez-vous nous parler de votre rapport à la danse et de votre parcours artistique personnel ?
Josépha – Bonjour les Biches ! Personnellement, j’ai toujours aimé danser, chanter et me donner en spectacle ! Mais j’ai commencé par la danse. Lorsque j’ai eu trois ans, mes parents m’ont inscrite dans une école de danse, où j’ai appris le classique, puis le hip hop, le modern jazz et les claquettes. Une de mes profs a insisté pour que j’intègre une école de danse professionnelle mais j’ai refusé, car je voulais garder du temps pour mes autres passions : je pratiquais également le saxophone, la batterie et le chant dans une école de musique ! Je fréquentais l’atelier théâtre de mon collège aussi. Bref, je ne voulais pas être simple danseuse, je rêvais de faire une école de spectacle à l’image de ce que je voyais dans les films, commeFame. A partir du lycée, je me suis finalement décidée à m’inscrire à l’école de danse du Ballet de Lorraine (CCN de Nancy). C’est alors que j’ai découvert la danse contemporaine et l’improvisation. Une sacrée claque ! Moi qui venais d’une école classique, il m’a fallu apprendre le lâcher prise ! Dès que j’ai obtenu mon bac, je me suis dirigée naturellement vers des études d’Arts. Je suis passée par l’école des Beaux-Arts de Nancy, mais je me suis finalement accomplie en Licence Arts du Spectacle à l’Université, où j’ai approfondi mon approche du théâtre et de la mise en scène. J’ai ensuite rejoint le Master Etudes Théâtrales de Montpellier, où j’ai rencontré Célia. Cette rencontre est survenue dans une phase importante de ma vie, car j’avais décidé de devenir artiste de spectacle vivant et j’étais déterminée à réaliser ce projet ! Aujourd’hui je suis danseuse avec Les Chasseurs de Vide, mais également auteure compositrice et interprète sous le nom de Fafa Mali, et directrice artistique de la compagnie Entre Deux Averses.
Célia – Moi, je ne suis pas passée par le conservatoire, donc je n’ai pas passé de diplôme académique ! Par contre, depuis toute petite, j’apprends à danser avec ce que je suis. J’ai commencé seule, puis petit à petit, j’ai décidé de participer à des ateliers d’improvisation et de composition collective. Je sens que danser pour moi, ce n’est pas qu’un enchaînement de formes, mais que le mouvement sert à exprimer quelque chose qui ne se dit pas autrement. C’est devenu mon langage. J’ai ensuite participé à de nombreux stages à Strasbourg, Besançon et Montpellier, en danse contemporaine (avec Renate Pook, Francis Viet, Bruno Agati et Virginia Heinen), en jazz (avec Bruce Taylor), en danse afro-contemporaine (avec Franck Michel Bakekolo et Germaine Acogny) et en danse Butô (avec Yumi Fujitani). Je pratique toujours l’improvisation auprès de Yann Lheureux et Brigitte Negro et continue à travailler ma technique. Ces stages et ateliers me permettent d’enrichir encore et toujours mon vocabulaire gestuel ! La rencontre avec Josépha m’a permis de trouver une rigueur rythmique ainsi qu’un vocabulaire gestuel nouveau, plus aérien ! Que je me considère danseuse ou pas, mon moteur quand je me lève le matin est le même : rester connectée au réel, travailler sur le terrain, sur un territoire avec ses usagers, donner la possibilité à tous d’approcher la danse. La danse est devenue à la fois un langage mais aussi une manière d’agir en tant que citoyen, pour insuffler de la fantaisie dans un espace public où l’hétérogénéité diminue progressivement, sous prétexte d’insécurité ou autre.
« La danse est devenue à la fois un langage mais aussi une manière d’agir en tant que citoyen, pour insuffler de la fantaisie dans un espace public où l’hétérogénéité diminue progressivement, sous prétexte d’insécurité ou autre. »
On vous retrouve aujourd’hui en duo sous le nom de « Chasseurs de Vide ». Quand et comment est né ce projet ?
Célia – Notre compagnie est née d’une rencontre, et surtout d’envies ! Nous nous sommes connues à l’Université Paul Valéry de Montpellier, en Master Arts du spectacle. Nous avions envie de faire, d’agir, d’expérimenter, en parallèle de nos recherches universitaire respectives, pour mettre à l’épreuve dans la réalité ce qu’on apprenait en salle de classe. Il nous a donc paru évident de créer une association, de manière à ce que nos projets puissent aboutir au sein d’un cadre juridique. En premier lieu, nous avons imaginé « Duo Bleu Electrique », notre première création pour l’espace public. En diffusant la pièce dans une multitude de lieux (universitaires, ruraux, urbains, péri-urbains…) et auprès de publics très variés (étudiants, sans-abris, enfants, adultes, familles, habitués ou non au spectacle vivant…), nous avons rencontré la poésie mais aussi la violence inépuisable de la rue. Ces moment-là ont été très formateurs et nous ont permis avec le temps d’acquérir une grande capacité d’adaptation. Les expériences s’enchaînant, j’ai été ravie de constater que la collaboration artistique avec Josépha fonctionnait très bien et que l’espace public était l’endroit où nous souhaitons nous exprimer, car il nous permet essentiellement de rencontrer un public hétérogène (et puis le principe de se rouler sur le bitume brûlant du mois d’août nous séduit énormément !)
Josépha – J’ajouterais que notre duo est à la fois un moteur à nos recherches et une magnifique fabrique à rêves. Pour moi, Les Chasseurs de Vide n’est pas qu’une simple compagnie, mais une manière d’exister au monde avec tout ce que cela implique : se réapproprier l’espace public, le faire danser, vibrer, résonner… Notre concept artistique n’est pas qu’un concept esthétique, car nous imaginons notre travail comme un acte politique et militant. Nous ne sommes pas seulement des danseuses de divertissement, mais nous cherchons à transmettre un message, notre vision du monde et nos questionnements. Notre travail est aussi une manière d’incarner notre rôle de citoyenne et de faire entendre nos idées. Nous ne sommes pas des artistes coupées du monde mais bien des artistes à l’écoute de la rue, de ses plus infimes soupirs à ses vrombissements les plus fracassants.
« Notre concept artistique n’est pas qu’un concept esthétique, car nous imaginons notre travail comme un acte politique et militant. Nous ne sommes pas seulement des danseuses de divertissement, mais nous cherchons à transmettre un message, notre vision du monde et nos questionnements. »
Nous avons entendu parler de votre prochain « projet de territoire », « ITINERANCE », qui se déroule les 8 et 9 février prochain… Quelle est sa particularité ?
Célia – ITINERANCE est bien plus qu’un spectacle, c’est un événement artistique un peu particulier dans lequel nous avons choisi de regrouper différentes disciplines comme la danse, la photo, la musique, la cuisine… Il se destine à rassembler, créer du lien et du flux humain, et questionner autour des thèmes de la migration, du rêve et de la désillusion, à travers plusieurs médiums. C’est pourquoi il ne se déroule pas dans un lieu fixe, mais à cheval sur les quartiers du Petit Bard et Celleneuve. Avec cet événement, nous souhaitons également déconstruire les clichés autour de la migration. Le fait de proposer des regards différents, à travers des disciplines différentes, permettra on l’espère de faire voler en éclat nos a priori.
Josépha – En danse, comme en photo ou en vidéo, on se pose la question du point de vue que l’on porte sur un thème de société. La particularité du projet n’est pas de proposer une réponse, mais bien de poser de nombreuses questions. Nous avons fait un choix particulier : d’utiliser des mouvements du quotidien, de parler d’un sujet qui nous envahit à longueur de journée. Un sujet qui d’ailleurs est inspirant pour nous autres artistes. Rien que cet été sur les festivals, j’ai pu assister à plusieurs spectacles qui évoquaient déjà ce thème. Si je peux me permettre, nous nous en parlons de manière singulière. Sans misérabilisme, en essayant d’être les plus sincères possible. Je crois que notre particularité est de ne pas vouloir incarner la migration mais de vouloir la faire résonner en nous, en vous. « Et si tu avais un rêve qui te permettait de déplacer des montagnes ? De traverser des mers ? De quitter ta famille ? » Et la pluridisciplinarité nous aide à toucher à toutes les sensibilités. Il y a une multitude de portes proposées, à chacun de trouver celle qu’il voudra pousser en premier. On a finalement imaginé une expérience sensorielle augmentée, à partir de la danse pour donner une place à nos propres rêves, comme un top départ.
Comment a été pensé et construit cet événement ?
Tout a débuté en 2017, lorsque nous nous sommes lancées dans la création d’un premier spectacle sur le thème de la migration, « Là où tu te poses », inspiré librement du livre Kotchok, sur la route avec les migrants (de Claire Billet et Olivier Jobard). Ce duo de danse s’est inspiré de notre regard et notre ressenti personnels sur la migration.
Ensuite, dans une volonté de faire évoluer ce projet, nous nous sommes questionnées sur les représentations de la migration à travers l’image. Nous avons donc demandé à une photographe de métier, Marielle Rossignol, d’y réfléchir avec nous. De ces échanges est née une exposition, intitulée « Il parait qu’à Paris », qui s’inspire à la fois des corps dansants en lien avec des matières qui rappellent la migration (plastique, journal, eau, …) mais aussi de citations issues du livre Kotchok.
Ensuite, nous avons réfléchi à la manière dont nous pouvions rencontrer notre public. Il nous est alors paru intéressant de créer un système de médiation qui intégrerait le spectateur de manière ludique, le rendant ainsi lui aussi acteur du projet. C’est pourquoi, depuis le début, nous faisons participer des enfants et des adultes en leur proposant de représenter leurs rêves dans une boîte en carton. L’idée pour nous était d’investir l’espace avec ces « boîtes à rêves » aussi diverses les unes que les autres, afin de rendre compte de la différence des priorités et des aspirations de chacun. Comme une manière de mettre en évidence que chaque individu possède son propre regard sur le monde, ses espoirs et ses doutes. C’est l’occasion aussi pour le public de se poser une question : « Jusqu’où suis-je capable d’aller pour réaliser mon rêve ? »
Enfin, nous avons souhaité rassembler ces travaux chorégraphiques, photographiques et plastiques en un seul événement. Mais il nous manquait un socle qui viendrait justifier notre démarche. Puis un jour, en rencontrant les équipes des Maisons Pour Tous de Celleneuve et du Petit Bard, on nous a fait part d’un constat qui nous a interpellées : depuis des années, les habitants de ces deux quartiers se rendent rarement dans le quartier voisin, perpétuant un manque de « migration ». S’appuyant sur ce fait, nous avons alors voulu reconsidérer la migration à plus petite échelle, et imaginé un travail sur ces deux quartiers avec pour objectif la création d’un flux humain tout au long d’une journée. Comme une mise en abîme, nous souhaitions revaloriser le processus de migration entre deux quartiers autour d’un événement qui traite du thème de la migration. Et compte tenu de la mixité sociale qui compose ces deux quartiers, nous avons concocté une programmation riche qui associe cuisine, musique, art plastique, danse, cinéma et photographie, afin de toucher et attirer un maximum de personnes.
En plus des Maisons Pour Tous, d’autres partenaires se sont associés au projet aussi: l’association Odette Louise, le clos de la Fontaine, la médiathèque Shakespeare, l’association ESSOR, les écoles primaires Léo Malet et Delteil et les habitants des deux quartiers.
Votre démarche nous apparaît sensiblement remplie d’espoir et d’humanité. Quel(s) message(s) souhaitez-vous délivrer?
Avec ITINERANCE, nous souhaitons continuer de défendre la présence de l’art dans l’espace public. Dans cette même dynamique, nous voulons proposer aux habitants de cet espace de s’approprier un thème à travers des ateliers, et ainsi devenir acteur, au sens large, d’un projet collectif. Aussi, nous espérons parvenir à déconstruire les clichés qui se cristallisent autour de la migration, et remettre au centre des réflexions non pas « la crise migratoire » mais l’individu, avec ses rêves et son histoire, et ainsi retrouver le sensible à l’intérieur même d’un sujet politique.

Envisagez-vous déjà une suite à ce projet ?
Je pense que oui. Le sujet de la migration peut être traité de manière très différente et au fil des rencontres nous nous sommes rendues compte qu’il inspirait beaucoup de personnes différentes. Le duo de danse, dans Là où tu te poses, a été le point de départ du projet. L’approche photographique de Marielle Rossignol a suivi et vient aujourd’hui compléter la réflexion amorcée au moment de la création dansée. Ensuite, nous avons entamé un travail vidéo, qui se déploiera un peu plus tard dans l’année je pense. Enfin, un auteur, David Irle, a été touché par l’exposition de Marielle Rossignol et nous a proposé d’écrire 7 textes en lien avec les photos. Certain de ces textes seront d’ores et déjà disponibles à la maison pour tous Villon au Petit Bard pendant ITINERANCE. En fait, nous aimons que le sujet en lui-même, mais aussi les formes artistiques développées jusqu’à présent, touchent et questionnent les spectateurs, et leur donnent envie de rebondir en proposant à leur tour une forme nouvelle. Cela permet à chacun de se dire qu’il peut prendre la parole d’une manière ou d’une autre, et de concevoir le projet dans une évolution constante.
« Nous espérons parvenir à déconstruire les clichés qui se cristallisent autour de la migration, et remettre au centre des réflexions non pas « la crise migratoire » mais l’individu, avec ses rêves et son histoire, et ainsi retrouver le sensible à l’intérieur même d’un sujet politique. »
Quel genre de public espérez-vous séduire ?
Tous ! Nous ressentons une réelle envie de toucher tous styles de publics, de tous âges et horizons sociaux, experts ou amateurs. Pour cela, nous avons trouvé important de proposer des moments d’échanges en amont des représentations (constructions de boîtes à rêves ou ateliers de danse sur le thème de la migration,…). Ainsi, les spectateurs peu habitués à assister à du spectacle vivant ou des expositions, auront les clés pour aborder les diverses propositions artistiques, et se sentiront autant concernés.
Pourquoi avoir choisi le thème de la migration ? Quel est votre propre rapport à celui-ci ?
Célia – Un jour que je prenais le train en direction de l’Alsace, il y avait un somalien qui se cachait clandestinement sous mon siège, sans valise, un billet Montpellier-Marseille dans les mains alors qu’il se rendait en Allemagne. Lorsque le contrôleur a fait semblant de ne pas le voir, il s’est assis en face de moi, m’a regardé, et a sorti le fond de ses poches comme pour signifier qu’il n’avait pas un rond. Quand je suis sortie du train, à Strasbourg, je me suis mise à la place de cet homme qui ne maîtrisait pas la langue, qui n’avait pas de repères, pas de valise, pas d’argent, rien pour vivre décemment. Cette rencontre m’a bouleversée. Tout ce que j’ai alors pu voir ou entendre par la suite dans les médias au sujet des « migrants » m’a paru injuste et inacceptable. Cette expérience m’a confronté à mon impuissance. La seule chose qu’il m’était alors possible de faire c’était en parler, ou plutôt « en danser », pour dénoncer le sort de ces personnes, soulever de nouvelles questions sur nos situations, notre rapport à « l’étranger », notre rôle et notre part de responsabilité dans cette crise humanitaire… C’est un thème qui m’est alors apparu comme une évidence dans ma démarche artistique. Puis au cours de la création, nous avons dispensé régulièrement des ateliers de danse avec des réfugiés, et mon rapport à la migration a encore changé. Elle est devenue plus concrète, et plurielle. Je pouvais y associer des visages, des corps, des histoires, des langues, des codes, des rêves, des rires, des blagues… Certains de ses « gars » sont devenus des potes, des participants à nos ateliers et aussi des spectateurs de Là où tu te poses.
Josépha – Pour ma part, le thème de la migration fait partie de mon histoire familiale, et me renvoie à mes souvenirs… Je suis issue d’un grand brassage ethnique et culturel, et depuis toujours j’entends des histoires de familles lointaines, des frontières que mes ancêtres auraient traversées et des bateaux qu’ils auraient pris pour fuir… Prenez mon arrière-grand-père : il est arrivé en Tunisie pieds nus avec une valise, laissant derrière lui une Italie pauvre et sans avenir, et il y a épousé une maltaise. Leur fille, ma grand-mère Yvette, s’appelle aussi Stella et Italia et parle quatre langues (français, maltais, tunisien et italien). Elle a rencontré mon grand-père qui était un militaire français parti faire la guerre d’Algérie. Elle l’a épousé et elle est rentrée en France avec lui, où sont nés ensuite mes parents. Je suis donc arrière-petite-fille et petite-fille d’immigrés, alors la migration, c’est comme si je l’avais vécue par procuration ! Même si je n’ai pas vécu les voyages et les traversées, ou bien le tourment de devoir quitter le pays que l’on aime, j’ai pu en ressentir les sensations et visualiser ces images lointaines à travers un couscous à la dorade, des boulettes à la sauce tomate, du miel et des dattes. Pour moi, jusque là la migration s’apparentait à une douceur en carte postale sépia. Et puis il y a eu les premières images de ces hommes à la mer, de ces enfants échoués, de leur regard dans la nuit… Comme si tout ce que je vivais depuis toujours comme un conte cachait une toute autre vérité, plus sombre et plus cruelle. Quand Célia est venue me proposer d’écrire ensemble autour de ce sujet, j’ai de suite dit oui. Il fallait à tout prix arrêter ces images qui bourdonnaient.

Vous avez également parlé d’un livre, duquel vous vous êtes librement inspirées pour aborder ce thème.
Célia – Oui, il s’agit de Kotchok, sur la route avec les migrants de Claire Billet et Olivier Jobard, qui exposent le récit de cinq jeunes afghans qui parcourent 12000 kilomètres et passent clandestinement 6 frontières. Pour la rédaction de ce livre, les auteurs ont intégrés un groupe de migrants afghans, et les ont suivis de Kaboul jusqu’en France. Le livre croise les points de vue des deux journalistes et ceux de Luqman, Fawad, Khyber, Jawid et Rohani, les voyageurs afghans qu’ils ont accompagnés tout au long du périple, jusqu’à leur arrivée face à face avec les espaces qu’ils ont tant imaginés.
Josépha – Ce livre était une rencontre fascinante avec ce que j’appelle du grand journalisme. Un vrai bonheur pour l’humanisme que de se dire qu’il existe encore des hommes et des femmes capables de se jeter à corps perdus dans une aventure afin de permettre à celles et ceux que l’on veut réduire au silence d’exister pleinement. Pour moi, ce livre, c’est comme une lumière dans la pénombre gluante des images que l’on voit aux infos. Il y a de la vie dans ce que racontent Claire et Olivier. On a rencontré Claire dans un café parisien, qui nous a gracieusement permis d’utiliser son œuvre. Elle et Olivier fournissent un réel travail de journalisme d’investigation pour lequel nous avons une profonde admiration.
Quel a été l’impact de ce livre dans votre création ?
Josépha – La lecture de Kotchok et la rencontre avec Claire nous a donné des clés pour rentrer dans notre sujet, sans avoir peur de parler à la place de ceux que l’on appelle « migrants ». Disons que l’on a commencé à se poser les bonnes questions, à analyser nos réelles émotions face à ces questions, et surtout à trouver un moyen d’en être passeur.
Célia – Et puis ce livre nous a permis de développer une danse particulière qui parle de traversées, de parcours, de moments d’urgence et d’attentes interminables, mais aussi de jeu et de complicité. Il a été une source d’inspiration énorme pour le travail chorégraphique, bien que nous n’incarnions pas des migrants. De plus, le livre a également inspiré Il parait qu’à Paris, l’exposition de Marielle Rossignol, qui expose encore une autre vision de la migration.
Pourquoi favoriser vos représentations dans l’espace public ?
Josépha – Personnellement, j’affectionne l’espace public pour son caractère inattendu et surprenant. Et puis, j’aime assez l’idée que l’on ne nous donne jamais vraiment le droit de l’investir à notre manière, que c’est un droit que l’on décide de prendre. Cela peut donner des situations vraiment très cocasses ! Par exemple en novembre dernier, pour une séance photo avec Marielle Rossignol, je me suis retrouvée au milieu de la Rue de la Loge, un vendredi férié, avec Marielle qui me mettait de l’eau sur la tête, et tous les gens là pour faire leur shopping qui s’écartaient au dernier moment. Notre séance s’est transformée en véritable performance ! Je me souviendrai longtemps de ce petit garçon, accompagné de son père, qui se sont arrêtés pour nous regarder jusqu’à la fin de la séance. Le petit garçon s’accroupissait comme le faisait Marielle, pour voir du même point de vue qu’elle. Il avait compris l’importance du regard, de son point de vue. Il m’a marquée. Pour moi, l’espace public permet ce genre de rencontres. Travailler en salle est confortable, mais nous éloigne à mon sens de la spontanéité de notre travail.
Célia – Et puis, nous voulons aussi toucher un maximum de personnes ! Ce qu’on cherche, c’est interpeller le passant, le sortir de son quotidien. Dans la rue, ce qui est génial, c’est qu’on peut parler au « mec sur son banc », dire bonjour à la boulangère du coin, rappeler au vieux monsieur qui ne supporte pas qu’on danse ICI que l’espace public est à tout le monde… On aime évoluer dans un lieu où rien n’est acquis, où il faut toujours se réinventer et s’adapter. Et puis aussi, parce qu’on aime ramasser les débris de verres, se rouler dans le pipi et faire coucou aux chiens errants ! (RIRES)
« Travailler en salle est confortable, mais nous éloigne à mon sens de la spontanéité de notre travail. »
Maintenant qu’ils vous connaissent, comment nos lectrices et lecteurs peuvent vous soutenir ?
Eh bien, pour commencer, en venant nous applaudir les 8 et 9 février prochain à Celleneuve et au Petit Bard avec enfants, amis, parents et grands-parents, les taties et tontons !
Puis, en adhérant à l’association « Les Chasseurs de Vide », ou en faisant un don sur notre site internet : nos projets sont nombreux et merveilleux, si si, on vous jure !
Ou encore, en proposant de donner une visibilité à notre travail (comme vous le faites les Biches), en partageant nos vidéos et nos projets. Notre œuvre Là où tu te poses (en version danse ou en version augmentée) est actuellement à la recherche de lieux de diffusion, alors n’hésitez pas à parler de nous !
Et sinon, on aime bien le chocolat et les grands bols de thé au gingembre, alors si vous avez envie d’échanger avec nous, n’hésitez pas !

« ITINERANCE », samedi 8 et dimanche 9 février 2019
Quartiers Celleneuve / Petit Bard